jeudi 17 octobre 2024

Samedi, Lille Wazemmes

 - Adam, ta longue barbe en bataille n'est plus très à la mode, tu sais. Cela ne convient pas dans notre foule propre, riante, dynamique et prometteuse d'achats!




Je pense à cette phrase que j'ai prononcée cet après-midi debout sur un container à verre en face du terrain de football du quartier de Wazemmes, à Lille. Les enfants footbalistes lachent un instant du regard le goal et l'arbitre pour venir crier, les mains dans le filet, "M'sieur, m'sieur, après, il faudra un ortographe!" Oui, oui, après...


Je suis au milieu de leur quartier, entre les quatre tours immeubles MAGENTA en béton, verre, plastique bon marché, en plâtre en poudre, en pavés prêts à voler. L'asso "Troisième virage à gauche" m'y a invité. Leur bureau minuscule et sans fenêtre enferme des paquets de papiers, demandes de sub, autorisations, situations de familles et projets artistiques à développer entre ces murs et ce ciel de pluie. Ils le font. Ils m'invitent. Ils invitent un artiste par semaine ou presque. Mais ils le font, oui, et le public arrive.




Nous avons démarré à huit devant le rhinocéros collé sur la vitrine d'un magasin abandonné. Puis sur la sortie de secours et sa porte de métal. Troisième étape : la rampe pour les handicapés et les poussettes qui mène au city-stade. Ensuite viennent le container à verre, le parc avec son jardin partagé (Où est la beauté? Dis-je elle est partout! Vous l'avez aussi chez vous!) Un coin de rue lugubre où nous dérangeons le dealer de service pour écrire à la craie "Google, ta gueule!". Enfin le pas de porte de l'association IRIS, quand la fenêtre s'ouvre sur une famile qui assiste au final depuis son premier étage. Oui, nous avons touché du monde. Outre les huit du début (restés fidèles sous la pluie), plusieurs familles, gamins à vélo, mères en poussette, pères flasques ou ados sur écran ont suivi. Ils ont ri, applaudi, crié. Voilà du théâtre comme j'aime à le pratiquer depuis 40 ans : pour tout le monde, sous le ciel, parlant poésie les yeux dans les yeux, hors festival. 

- Adam, ta longue barbe n'est plus très à la mode...




Oui, je sais. A présent, je suis rentré à l'hôtel. C'est un hôtel majuscule, néons, faux bois, chambre large et vitres claires posé à côté du centre commercial Lillenium dont les enseignes brilleront toute la nuit entre escalators et musique d'ascenseur. Il est 21h, je suis épuisé. Une douche chaude, puis je demande à la réception où je peux manger "Dans le centre commercial, monsieur, c'est ouvert jusque 22h"


La musique est entraînante, riante, dynamique et prometteuse d'achats. Elle crie trop fort. Les escalators sont bleus, lumineux, automatiques et les vitrines resteront allumées. et ce soir j'ai le choix : Burger Quick? Burger king? ou Burger corner? Ma longue barbe ne convient pas dans ce décor propre, dynamique et prometteur de vide, c'est vrai.



vendredi 13 septembre 2024

Un après-midi à Chavy



Le château de Chavy est un faux château. Sur une ferme du XVII, avec ses granges et sa porcherie, les propriétaires du XIX ont collé deux tours à pointes comme des casques guerriers turlurons et une trentaine de fenêtres de théâtre comme pour obtenir un décor au fond du parc. Et il fait illusion. Ce n'est donc qu'un paquet de plâtre et de carton pâte, idéal pour un festival. La compagnie Juste avant l'oubli habite en face, parmi les douze maisons du bourg minuscule. Et quand ils ont rencontré les propriétaires du château, l'idée saugrenue du festival est arrivée. Posée sur la table. Déballée. Aussitôt adoptée. "Un après-midi à Chavy" en est à sa seconde édition. Les enfants envahissent le gazon, les adultes prennent le verre de vin blanc local à l'ombre des marronniers et les propositions artistiques explorent la grange, la pelouse, le four à pain ou les écuries. Ce n'est que plaisir et folie.




J'ai affiché là, collé sur le crépi du château, fixé aux portes de la cuisine, tendu sur la grande grille d'entrée quelques poèmes qui touchent le soleil. Le village d'Ozenay, voisin peu bruyant, a reçu le rhinocéros sur le mur de la poste, des fleurs sur ceux de la mairie et "le lendemain" sur l'église. La pluie a rincé un peu le tout, mais on se dit que c'est le destin qui marque de son doigt le cours du fleuve Poésie.




On y croise un Cirque Cosmic, famillle de saltimbanques voyageurs, quelques compositieurs électro-acoustiques à la moustache encaustiquée, un exceptionnel cuisinier voisin (les Terrasses à Tournus) qui s'occupe du festin du dimanche, une superbe installation de l'artiste Liza Mazoyer dans les chambres bleues et blanches, magnifiques objets, plumes, gravures, paquets d'alumettes brûlées d'amour. On y lit aussi des lettres non écrites, on y écoute une chanteuse occitane, on y écrit sur les murs et on finit dans un éclat de rire avec Ludor Citric, le génial Cédric Paga.



Amélie et Quentin, programmateurs peuvent être fiers. Olivier et Marianne, propriétaires des lieux,  peuvent être fatigués. Guillaume et Dorothée, régisseurs généraux, sont très heureux. Oui, la fête fut réussie. Belle. Chaude. Trempée de pluie et de transpiration.

samedi 31 août 2024

Mutterscholtz + Poketo = pokemutt et Scholtzersol

 


"Où faut-il poser la plume pour qu'elle serve aux oiseaux de plomb?" la question est posée sur le macadam du parking, près du temple protestant.

"C'est comment, un diamant?" La question est posée sur le pavé à la sortie du jardin commun et la réponse un peu plus loin : "Un noyau de cerise aveuglant."

Mutterscholtz est un village d'Alsace. La parole m'y est donnée dès l'inauguration du festival (qui a la bonne idée de se nommer "L'avide jardin") parmi les sept discours officiels. Le maire me confie : "D'habitude, on finit par le plus important. C'est le préfet. Le protocole interdit de parler après lui. Mais nous ferons une exception pour la poésie."




Ca transpire entre les murs et les affiches. Le festival manque de s'appeler l'aride jardin. Sur deux jours, je poserai quatre fois mon spectacle Poketo poketo poketo poumpoumpoum entre les rares surfaces d'ombre où se rue le public et les murs où trônent mes 40 affiches. C'est un plaisir.








Et puis voilà le soir. La nuit tombe avec le vent d'orage qui vient secouer tout ce qui est agrafé aux parois de bois. Je vois les enfants qui courent derrière les affiches pour les porter à l'abri. C'est leur jeu et cela m'est utile.


Je vais rentrer dormir. Sur le chemin, une femme passe à vélo. Sa robe d'été vole, malmenée par un vent coquin. Elle me voit, reste agripée à son guidon et me crie "Google?  ", à quoi je réponds en riant dans le silence du village endormi "Ta gueule!". La nuit porte merveilles. Vent, lune et révolution dite. 

"Ne serions-nous pas nés pour vivre cet instant précis?" La question est posée sur le sol noir de la route, entre les maisons de bois et la cheminée où trône le nid des cigognes.



notez qu'un article est paru sur un blog littéraire :

>> https://www.coze.fr/2024/08/retour-sur-poketo-poketo-poketo-poumpoumpoum-presente-au-festival-lavide-jardin/

mardi 20 août 2024

Exit 11 : centre d'art contemporain

 Il est écrit en grand "Centre d'Art Contemporain" sur la façade. Et j'y suis invité. Oh, ce n'est pas la première fois. J'y ai exposé déjà il y a trois ans parmi une douzaine d'artistes fous. Mais cette fois-ci, nous ne serons que cinq. J'y pose de belles pièces, dedans comme dehors. Et pour le vernissage, je jouerai Poketo poketo poketo poumpoumpoum parmi les fleurs, les arbres, les sculptures africaines et les vieilles pierres du château.




Les quatre autres s'appellent Olivier  Cellière, Raphaël Decoster, Mira ou Alain Verschueren. Le premier recolle des affiches déjà bouffées par les escargots (ils sont invités à l'expo avec leur mobil-home de nacre), le second nettoie des racines déterrées sechées comme des méduses de bois sous globes de verre et le troisième a tellement la nostalgie de la mer qu'il la filme, allant et venant au rythme de sa respiration. C'est de l'art contemporain. 



Quant à moi, sûr de ne pas être de la famille, je placarde mes affiches naïvement revendicatrices sur les murs de brique. Une ou deux linogravures originales décorent la librairie et le fleur de "Tout Ce qui Avance" figure au sein de la galerie. Non, ce n'est pas conceptuel et ça ne se vend pas très cher. Je ne suis pas de la famille, je vous dis. Juste heureux de me trouver là.

Et d'ailleurs : ce jour de vernissage est magnifique. Le lieu est magnifique. Et faire éclater de rire les trente personnes qui me suivent dans ma déamblation poétique au milieu de ce jardin-là est magnifique. C'est Fred Chemama qui l'a filmé.




vendredi 19 juillet 2024

"Nous sommes une forêt de plumes" en tournée d'été




Dix représentations sur quinze jours. On y arrivera. J'ai parlé déjà de Lessines. Une semaine plus tard, nous étions à Bruxelles, au Théâtre de la Parole, formidable lieu de mots tenu par des femmes au souffle long et tenace. Leur festival s'appelle "Parole de résistance" et on y croise de belles voix. Le lendemain, c'était à Engis pour le festival des "Tchafornis", où deux représentations ont rassemblé près de 200 personnes. Lorsqu'elles se mettent toutes à chuchoter un poème fort, il y a de quoi trembler.

Puis Chalon sur-Saone. Festival International de Théâtre de rue. Ils nous ont confié le Jardin Botanique.




Second jour à Chalon. Le bouche-à-oreilles fonctionne. Ils sont 120 ce matin, 150 cet après-midi. Sans doute pas de journaliste, peu de programmateurs(nous le saurons plus tard), mais des poètes. Les mots sont forts, ma voix porte, je me sens comme habité du fantôme de Brel. Etrange sensation sous ces bambous rectilignes. Olivier et Samuel, les deux régisseurs, tremblent et s'empêchent de pleurer en saisissant la bouteille d'eau. Ensemble, le public applaudit à chaque silence comme pour souligner les textes. "Le roi, c'est celui qui chante!" (applaudissements) "et nous chierons sur leurs chapeaux..." (applaudissements)"Avec du théâtre dans toutes les rues de la ville, nous construirons de la lumière" (applaudissements)...




J'ai appris à ne pas pleurer. "Le but, c'est que le public pleure, oui, mais pas toi." disait Aurélien Dony, le génial metteur en scène de ce que nous jouons sous les arbres. Alors je respire, je vis et je prends le recul nécessaire pour dire ce qu'il faut dire. Sans pleurer. Et quand je salue, les mains sur le visage, le public se lève et frappe dans les mains de longues minutes. Mon corps s'épuise dans ce feu-là. Mon mal de dos a disparu le temps de monter sur le cercle de planches. Il reviendra après, je le sais, deux fois plus fort avec les limites que j'aurai dépassées. Mais je men fiche. Je brûle. Je brûle. Je brûle. 




Deux jours à Chalon. Quatre représentations. Et quatre poèmes neufs. 

Je retiendrai celui-ci :

Nous sommes une forêt de plumes

Des ailes d'encre, des oiseaux bleus

Partis de rien, voici l'écume

Allons ensemble brûler des pneus!




Il faudra que j'apprenne à consoler les spectateurs qui viennent me trouver après. Demain, nous jouerons à Ortho pour le festival Bitume. Un grand costaud viendra pleurer sur mon épaule. Un autre, vieux et tremblant, viendra me chanter quelques mots de Brigitte Fontaine : "Si j'étais un caillou, tu pourrais me jeter sur quelqu'un, je ne pourrais rien faire. Si j'étais un arbre, tu pourrais faire de moi une crosse de fusil, je ne pourrais rien faire..." Il chante doucement, pour moi seulement, à ma sortie de scène. Poésie, poésie, poésie. Non, ce n'est pas moi, le poète. C'est nous.


Les photos sont de Pierre Acobas.

lundi 1 juillet 2024

"L'Autriche, l'Homme aussi!" Louis Scutenaire à Lessines

 



"Il me faut un poète ou une poétesse! Vous êtes poètes? Vous, vous êtes poète? Dites-moi oui!" Oui, ils-elles sont dix poètes et poétesses sur les gradins de notre spectacle "Forêt de plumes", dans le village natal de Louis Scutenaire dont nous fêtons aujourd'hui le 119ème anniversaire. Nous sommes le 29 juin, à deux pas de la maison où il naquit (une plaque le confirme) et dix semeur.ses de beauté sont rassemblé.es ici. Il y a Laurence Vielle (qui a sorti un gâteau d'anniversaire et fait chanter le public "Joyeux anniversaire, Louis!" Il y a Aurélien Dony qui finit d'écrire son texte sur le chemin, encore imbibé peut-être de cette soirée d'hier où il a découvert une bibliothèque à la lumière d'une lampe torche, dit-il, et la salle de spectacle à celle d'une bouteille de vin blanc. Il y a Catherine Barsics qui va se coucher sur les rails du chemin de fer abandonné. Il y a  Thierry Lefèvre, inépuisable bavard qui porte un parapluie dans la parc entre toutes les espèces de Scutenaires que portent les étiquettes d'arboretum : Scutenaire à larges feuilles, Scutenaire mâle, Scutenaire à feuilles de margritte,... 




Il y a Laura Schlichter, engagée comme une ouvrière dans l'usine abandonnée où les graffitis proclament avec la voix du Scut : "Prolétaires de tous les pays! Je n'ai rien de spécial à vous dire!" ou bien "Tout ce que tu vois ici en fermant les yeux m'appartient!" Il y a David Murgia. Sa toute petite silhouette envahit le façade de la maison natale du Scut avec un texte de Raoul Vaneigem. Il y a encore David Notebaere qui parle avec sa voix de stentor de Dieu, de sexe et de femmes sous le tilleul devant l'église. Et il y a Delphine Veggiotti qui nous surprend avec un dialogue face à une échelle, laquelle se prénomme Scutenaire. Enfin, il n'y a pas Vincent Tholomé. Mais nous tenions à ce qu'il soit de la fête, malgré ses soucis de santé. Alors dans le cimetière (dont le mur est orné d'un large "Je me sens si jeune, il est vrai que je suis entouré d'éternité!"), entre les buis, les tombes et les croix de pierre, sa voix résonne, enregistrée au téléphone, sur ses élucubrations d'auto-portraits de morts-vivants dont Louis le Scut et tous les doubles de Vincent.




La promenade est belle, forte, diverse, commencée sous le soleil et achevée sous l'orage. Ce sera alors à nous et notre spectacle "Nous sommes une Forêt de plumes".





Non, je n'ai pas vu la promenade. Si je dois parler de moi, je dois parler de douleur. Mon dos, mes hanches et cette toux grasse et profonde qui m'envoie des décharges sur la moëlle épinière comme tirant sur le glas. Aïe Aïe et aïe. Je dois donc gérer au mieux cette situation sans énergie. Anti-douleurs et repos forcé jusqu'à mon éveil et échauffement, une heure avant de jouer. Il pleut sur le préau de l'école. Il est 18h30. Les cinquante personnes ont pris place sur les gradins, je suis prêt. Je me suis caché sous la bâche pour attendre le début de la musique. On y est. Intro. Bâche. Le public me découvre. Il éclate de rire. Tout commence par le rire.




Merci au CC Magritte de Lessines et à toute l'équipe : Myriam, Vincent, Olivier, Chloé et tous les autres. Merci aux dix poète.sses cité.es plus haut. Merci à Louis Scutenaire, fantôme bienveillant de la journée!

mardi 18 juin 2024

Un article sur mon livre Marcher loin des écrans !

 Merci Véronique Bergen! Elle cerne ici le projet et en parle ma foi fort bien. Oui, la Poésie tente de changer le monde. Et nous y arriverons!

https://le-carnet-et-les-instants.net/2024/06/11/sergoi-marcher-loin-des-ecrans-fait-de-nous-des-oiseaux/?

POEMA en Lorraine (fin. Déjà?)

 Ce serait comme un nouveau livre, grand de quelques hectares. 



Il s'appelle Soléole et se situe au-dessus de Bezaumont, près de Pont-à-Mousson. Les pages sont brouette, murs, roulotte ou éolienne. Partout où peut paser mon pinceau, peut naître la Poésie. J'extrais des phrases courtes, aphorismes, proverbes de quelques lettres (50 maximum pour le tronc mort, plus court parfois pour les abat-jours) et les calicots se peupleront de noms d'arbres et de phrases d'urgence. Ce soir, c'est la restitution de mes trois résidences POEMA. Oui, j'ai passé trois frois quinze jours dans la région à donner des ateliers et à travailler sur mes propres projets (4 livres sont en cours, ils ont bien avancé, et 2 affiches sont nées ici.) On peut voir au long des sentiers des miroirs, des cadres vides, des traits de chaux et de pinceau pour s'en souvenir, et les linogravures agrandies dont les auteurs sont parfois présents. Douze comédiens-comédiennes menés par Sandrine Gironde diront des textes sur le même thème de l'arbre. On y entend du Françoise Dorion, on y entend les résultats des ateliers (une auteur présente le reconnaît, elle est troublée!), on y entend aussi "La forêt brûle, mes frères, mes soeurs" (qui a servi our la ZAD belge en 2021) applaudi ...avec chaleur.







Mais le clou de la soirée était sans aucun doute la présence du jeune Victor Noël. Il a dix-neuf ans, on lui tend la micro et aussitôt, accompagné par Patricia aux machines électroniques, il nous rappelle, comme en une conférence intime, parfois chuchotée parfois interrompue par une limace ou un oiseau à qui il cède la priorité (quel seigneur!) que nous avons un ancêtre commun unicellulaire. Oui, tous, les escargots, les poules et le chefs d'entreprise ont un ancêtre commun qui portait comme prénom Protozoaire. Son discours nous emmène vers l'émerveillement envers la Nature. "Mais la Nature n'existe pas, dit-il, l'anthropocentrisme a déformé nos regards et nos voix. Le capitalisme détruit encore ce qui reste de Nous!" Alors Victor passe de l'émerveillement à l'indignation, de la Beauté au Combat sans guerre, du bonheur à la bataille.  Formidable moment.


 


Il a plu sur le parcours. 
Il a plus sur les poèmes. 
Il a plu sur la toile du chapiteau. 
Il a plu sur la Poésie. 
Mais elle sévit encore, 
encore et encore.




Merci POEMA, merci Franck, Sandrine et Mathieu. Merci à Laurence de la bibliothèque de Pont-à-Mousson, merci Baptiste de la Com-com Seille et Grand Couronné. Merci aussi aux Soléolien.nes : Alban, Cécile, Jocelyn, Guyx. Merci et à bientôt. 



mercredi 5 juin 2024

POEMA en Lorraine, suite




"J'irai, ailes ouvertes et poings serrés"

Ce lundi 3 juin, à Eulmont, nous allons poétiser la voie verte. Le macadam devient écritoire, les tables de pique-nique deviennent ardoises, le tunnel devient galerie d'exposition et les saules, cimaises. Il y a de mes phrases, bien entendu, mais aussi les travaux des ateliers donnés dans la région depuis trois mois. De quoi surprendre les cyclistes qui s'arrêtent, étonnés.






- Et pour toi, Mohamed, c'est quoi, la poésie?
- C'est l'enfance, tout ça, à l'école, on en apprenait. C'était la vraie vie, là. 
La poésie, c'est la vraie vie, oui, maintenant, à notre âge, 
avec le métier, tout ça, on l'a quittée, la vraie vie.
- Ah bon?
- Ben oui, faut bien payer son loyer.
- T'aurais pu y rester. Devenir poète.
- C'est pas un métier, ça. Moi, je suis ouvrier municipal. 
Ben oui, faut bien payer son loyer, 
c'est ce que je dis.







Ils sont cinq. Cinq hommes larges et forts, tous en "réinsertion professionnelle" invités pendant leur formation Com-com à assister à mon atelier poésie. Mohamed, le plus grand, regrette de ne plus être dans la Vraie Vie. Jean-Marie, lui, me dit que la poésie, c'est par exemple : "La vie est une tartine de merde que l'on mord chaque matin." Didier, le plus âgé, a perdu la moitié de ses dents. Mais il dessine renard et belette en souriant. Marcelino cherche ses mots et Pascal finit son sandwiche de midi. Alexandra, la seule femme, écrit un poème : 
"La vie SERA le passé, la Mort, c'est le futur et l'Amour, c'est le présent." 
Et cinq hommes autour de la table rient de se découvrir poètes. 
Avant de tenter la linogravure, Jean-Marie emporte les résultats de nos cadavres exquis 
"-Ca, je vais le refaire avec mes amis, vous pouvez être sûrs!"
Jolie victoire.





samedi 18 mai 2024

A l'école de Moivrons (F-54 Moselle) on écrit sur les murs!



Trois boîtes de sardines et un poème sur les murs. C'est toute ma récompense. Mais quel beau moment! C'est Hayden qui m'a fait appeler pour que je vienne en classe. Chose curieuse, Hayden m'avait rencontré lors d'un atelier qu'entre adultes nous avions qualifié de difficile, de trop brouillon. Huit enfants couraient partout, cherchant à tout prix à désobéir aux consignes. Les cris de l'animatrice du lieu et les soupirs de Sandrine (c'est Poema qui m'invite) n'y changeaient rien. Moi, le poète, au milieu, je les trouvais beaux. Que peut-on faire de plus? Les graines semées ce jour-là ont pourtant porté des fruits : Hayden a parlé à son instituteur qui a décidé de m'appeler.





Et me voici en classe. Ils ont vu mes travaux, le blog est projeté sur l'écran avec les photos de mes travaux. Chacun.e a déjà sur son bureau une reproduction des arbres noirs et vivants de mon "Hommage à la ZAD" Alors que faire cet après-midi? Des phrases qui commencent par "Jai mal à ma forêt..." ou inventer des métiers qui sauveront les bois : CHIRU-CHERON, entre chirurgien et bûcheron, POMPSYCHIATRE, pompier et psychologue ou ORNITHOPHONISTE qui aide les oiseaux à retrouver leur chant, tous métiers de la nouvelle forêt à soigner.



Vous avez tout en mains? Alors allons peindre nos mots sur les murs ! De grosses craies d'abord pour faire le tour des corps et dessiner des arbres-enfants, puis la gouache bleue pour écrire des phrases d'espoir et de colère. "Elle meurt sans faim et vit sans fin" ou "Rien n'est aussi beau qu'une forêt multicolore". 




Voilà l'après-midi passé. Ouf. Les parents étonnés viennent chercher les petits face au nouveau mur. Ils m'offrent en souvenir trois boîtes de sardines. Pourquoi? "On a vu dans une vidéo que vous alliez chez la belle épicière pour acheter des sardines, alors on vous en fait cadeau." Voilà. Oui, c'est vrai, je m'en souviens, oui, la Beauté me console de tout. 

samedi 11 mai 2024

Sassangy devient Sassanblés! La poésie change tout!



"Je voudrais remercier des gens qui sont morts (ils en sort la liste de sa poche), mais ils sont morts. (il jette le papier). Mais je voudrais surtout remercier tous ceux qui sont vivants de l'être restés jusqu'ici. Je veux embrasser chacun d'eux, chacun de vous. Que chaque œuvre d'art soit un baiser aux êtres vivants, et que chaque baiser soit une œuvre d'art pour quelqu'un."

C'est soir de poésie sur la place du Quincailler Corniste et du Boucher Noctambule, à Sassangy. Je dis deux mots de mon "Discours sur l'importance des grimaces et des baisers." Puis je le rappelle : Partant d'une histoire racontée par le cafetier Raymond, la place a porté ce nom à rallonge pendant la première édition du festival en 2022. Maintenant, la municipalité l'a adopté officiellement. Nous voici à l'inauguration de cette nouvelle semaine de la poésie, et tout le monde danse sous la pluie. Oui, Amélie fut assez subtile pour ne pas glisser le mot "danse" mais juste "donnez la main à votre voisin, voisine et on y va!" sa voix accompagne maintenant une ronde simple et légère sous la pluie. Tout le monde y joue, Armelle avec des escargots sur le cou, les paysans avec leurs mains sales, les enfants avec le rire aux lèvres. Tout commence bien. Dans un instant, nous irons nous réchauffer au tout nouveau "Café-maison" qui ouvre ses portes. 







Et puis il faut voir le village : les poèmes sont partout, écrits sur l'abribus, les routes, les panneaux, les vaches et les tonneaux. On y voit des photos de Pierre Acobas qui fêtent nos agriculteurs au travail, on y lit des mots de L'Homalenvers, voisin qui se découvre poète, ou de Quaspiedream, éleveuse et poète, ou encore un quatrain de Felix Pace envoyé par sms qui se verra vite écrit à la chaux dans le tournant vers l'autoroute et quelques mots de Raymond Partant, de passage chez nous deux jours. J'y vais, évidemment de ma verve avec un beau "C'est le printemps qui a raison et personne d'autre" sur la fontaine où viennent les tracteurs pour emplir les abreuvoirs. L'abribus est couvert de mots, le hangar municipal devient rhinocéros, les forêts deviennent livres de poèmes.







Le café-maison devient notre quartier général. Depuis quatre jours, il pleut comme vache qui pleure sur le paysage entier, alors il faut un abri. Chaque soir, nous nous rassemblons pour écouter de la poésie. Mardi, c'était Rose et Raymond, mercredi, Francine et Anne-Laure, puis ce soir, ce sera moi, Timotéo, et Christian m'accompagnera avec son accordéon en bois. Demain, Bertoc et Ludo. La parole est libre et franche. Sandrine et Ludo sourient, les bras ouverts, à cette tempête qui arrache les affiches sur la porte de la grange en face, ils proposent un café lorsque nous arrivons avec l'idée d'utiliser leur baignoire pour le parcours de dimanche et ils présentent des planches de fromages pour la rencontre poétique de ce soir. Oui, il pleut comme chèvre qui pisse mais la poésie est trempée comme une soupe qu'il fait bon déguster en cette fin d'avril.





"Enivrez-vous! Enivrez-vous sans cesse. De vin, de poésie ou de vertu, mais enivrez-vous!" dit Charles Baudelaire. C'est Sandrine qui nous le rappelle à l'heure de la rencontre poétique de ce vendredi soir, sous les nuages filandreux qui finissent de nettoyer le ciel. Un arc-en-ciel se forme encore sur un lointain de forêt alors que tout s'illumine. Demain samedi, c'est Pierre Abernot, le vannier, qui viendra avec ses osiers et une idée d'œuvre commune. "A côté du Monument aux morts, il va falloir inventer un Monument aux vivants. ce sera que que vous voudrez en faire!", dit le vannier. Et les mains toutes ensemble forment un oiseau. 




Dimanche. "C'est foutu pour le parcours." Il pleut encore à 9h30 ce matin alors que nous ouvrons les rideaux sur le paysage. Nous nous rendons tout de même au lieu de rendez-vous. Kenzo va tâter la prairie trempée où il devra sauter en cabri, je vais m'abriter dans la salle de bains où je devrai prendre un bain pour débuter le voyage et les musiciens n'osent pas sortir les instruments pour ne pas les exposer à l'humidité. 9h45. Il arrête de pleuvoir. Le ciel s'éclaircit. Et 90 personnes se rassemblent sur la place dont une tripotée d'enfants qui courent et une dizaine de chiens, pas tous tenus en laisse. Je suis dans ma baignoire, comme encore en coulisses. L'eau me console, la mousse me cajole. A côté de moi, François Merville essaie avant l'arrivée du public de faire sonner un bol ou l'autre, un couvercle de casserole, une planche à viande. Au loin, le discours d'Armelle se termine : "Bonne route! Regardez, écoutez, vivez!" Ils arrivent. 










Merci à Armelle, à la compagnie Deuzaileu, à Pierre Acobas, à Sylvie, Dorothée, Michel, et chacun chacune des habitant.tes de ce village incroyable de Sassangy. C'est un bonheur d'habiter ici. Merci aux artistes qui ont participé au parcours du dimanche : Kenzo, Jacques, Nicolas, Edith,  François et (parfois malgré eux) les habitants François, Malvina, Ludo, Sandrine, Noël.