Timotéo Sergoï




Dans ma première vie, j'aimais le gâteau aux pommes, les baisers de ma mère et je rêvais de voir Vladivostok. A 17 ans, je suis donc parti jongler dans les couloirs du métro bruxellois. 

Là commence ma seconde vie, celle de comédien-voyageur. Avec mon épouse, nous  emmenons en camion-caravane nos trois enfants dans toute l'Europe pour y jouer au gré des rues, des fêtes de villages et des festivals. J'apprends le danois, j'arrête de boire le café trop fort, je porte trois boucles d''oreilles et je marche de temps en temps sur des échasses de un mètre de haut. Comme ça, pour voir.

Ma troisième vie commence lorsque je fais parler des poireaux et des paquets de cigarettes. Pendant 15 ans, mes spectacles de marionnettes-objets font alors le tour du monde. Le Polichineur de tiroirs donne cours de philosophie avec une banane strip-teaseuse. Richard, le polichineur d'écritoire, donne une leçon de littérature en racontant Richard III à l'aide d'un rôti de porc que je porte en masque. Enfin, Adam, polichineur de laboratoire explore la science et raconte l'histoire de la terre avec un gâteau aux pommes explosif.  De Singapour à Arkhangelsk, de Melbourne à Buenos Aires, du Vietnam à Vladivostok, les langues ne sont pas des barrières pour ces délires visuels. Les voyages me nourrissent de rencontres, et de réflexion sur notre pauvre existence humaine, qui prête tant à sourire. Cette vie-là s'achève en 2013, en invité spécial au Festival Mondial de Marionnettes de Charleville-Mézières, probablement le lieu le plus important du domaine. 

Mais une autre vie a déjà commencé. J'écris. Un carnet de voyage d'abord, pour pouvoir les raconter à mes enfants. Puis viennent des poèmes, pour les personnes que j'aime, ou les paysages qui m'entourent. En 2005 paraît la première plaquette chez Tétras-Lyre (Liège) titrée Suppositoire. C'est un début.


La poésie est partout, ou alors je me trompe et elle n'existe pas! Aussi, outre les spectacles basés sur mes textes et toujours en tournée (Ni Cage ni nid, ou encore Poketo Poketo poketo poumpoumpoum) je tiens à la mettre à la portée de tous. Ainsi, je colle en ville sur les poteaux, les feux rouges, les panneaux publicitaires des stickers, des autocollants, des affiches, des banderoles larges et visibles qui indiquent "C'est le chant qui tient les arbres debout, non le cuir des portefeuilles" ou "L'urgent ne fait pas le bonheur". Loin de slogans de pub, la poésie est lente et doit macérer, infuser, prendre le temps de trouver son sens. Loin des couleurs criardes, le texte est blanc sur noir, parti de linogravures réalisées en mon atelier sur des déchets de linoléum. Plus que jamais, la voilà nécessaire, génératrice, prometteuse de printemps.

Voici donc que se retrouvent trois passions : la Rue, dont je suis issu,  frère des corbeaux et des chiens errants, paysage infini dont on ne touche jamais les bords. La Poésie, dite ou écrite, gravée ou tatouée, lettres et voyelles bavardes et fruitières. La Gravure enfin, plastique forte et puissante. Chaque matin , imprimer un soleil noir sur la page blanche du jour. Voilà. 

De mes rêves d'enfance, seuls les baisers de ma mère me manquent un peu.


Aujourd'hui, Stephane Georis Alias Timotéo Sergoï est l' auteur d'une quinzaine de livres. De la poésie, des réflexions sur son métier, une biographie voyageuse de Blaise Cendrars, un recueil de ses carnets de voyage, et les derniers parus : un essai sur la place du poète dans la révolution (Apocapitalypse chez Territoires de la Mémoire) et un recueil d'aphorismes sorti en février 2020 : Lundoux, Mardoux, Mercredoux.







3 commentaires:

auriane a dit…

Superbe

dominik a dit…


À découvrir, à ruminer, à savourer... une nécessité vitale ce capharnaüm poétique <3 MERCI

Anonyme a dit…

J'ai trouvé un de vos autocollants au lac de Conchibois, à Saint-Léger. Je découvre alors votre œuvre et j'en suis comblée!