jeudi 17 octobre 2024

Samedi, Lille Wazemmes

 - Adam, ta longue barbe en bataille n'est plus très à la mode, tu sais. Cela ne convient pas dans notre foule propre, riante, dynamique et prometteuse d'achats!




Je pense à cette phrase que j'ai prononcée cet après-midi debout sur un container à verre en face du terrain de football du quartier de Wazemmes, à Lille. Les enfants footbalistes lachent un instant du regard le goal et l'arbitre pour venir crier, les mains dans le filet, "M'sieur, m'sieur, après, il faudra un ortographe!" Oui, oui, après...


Je suis au milieu de leur quartier, entre les quatre tours immeubles MAGENTA en béton, verre, plastique bon marché, en plâtre en poudre, en pavés prêts à voler. L'asso "Troisième virage à gauche" m'y a invité. Leur bureau minuscule et sans fenêtre enferme des paquets de papiers, demandes de sub, autorisations, situations de familles et projets artistiques à développer entre ces murs et ce ciel de pluie. Ils le font. Ils m'invitent. Ils invitent un artiste par semaine ou presque. Mais ils le font, oui, et le public arrive.




Nous avons démarré à huit devant le rhinocéros collé sur la vitrine d'un magasin abandonné. Puis sur la sortie de secours et sa porte de métal. Troisième étape : la rampe pour les handicapés et les poussettes qui mène au city-stade. Ensuite viennent le container à verre, le parc avec son jardin partagé (Où est la beauté? Dis-je elle est partout! Vous l'avez aussi chez vous!) Un coin de rue lugubre où nous dérangeons le dealer de service pour écrire à la craie "Google, ta gueule!". Enfin le pas de porte de l'association IRIS, quand la fenêtre s'ouvre sur une famile qui assiste au final depuis son premier étage. Oui, nous avons touché du monde. Outre les huit du début (restés fidèles sous la pluie), plusieurs familles, gamins à vélo, mères en poussette, pères flasques ou ados sur écran ont suivi. Ils ont ri, applaudi, crié. Voilà du théâtre comme j'aime à le pratiquer depuis 40 ans : pour tout le monde, sous le ciel, parlant poésie les yeux dans les yeux, hors festival. 

- Adam, ta longue barbe n'est plus très à la mode...




Oui, je sais. A présent, je suis rentré à l'hôtel. C'est un hôtel majuscule, néons, faux bois, chambre large et vitres claires posé à côté du centre commercial Lillenium dont les enseignes brilleront toute la nuit entre escalators et musique d'ascenseur. Il est 21h, je suis épuisé. Une douche chaude, puis je demande à la réception où je peux manger "Dans le centre commercial, monsieur, c'est ouvert jusque 22h"


La musique est entraînante, riante, dynamique et prometteuse d'achats. Elle crie trop fort. Les escalators sont bleus, lumineux, automatiques et les vitrines resteront allumées. et ce soir j'ai le choix : Burger Quick? Burger king? ou Burger corner? Ma longue barbe ne convient pas dans ce décor propre, dynamique et prometteur de vide, c'est vrai.



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