mardi 2 septembre 2025

RUE DU BOCAGE fête ses trente ans!




J'ai l'impression d'avoir oublié quelque chose sur la table de la cuisine et de le retrouver trente ans après. Depuis lors, j'avais oublié ce que j'avais oublié. C'était un théâtre.

C'est ce théâtre-là dont j'ai toujours rêvé. Un théâtre sans réservations, sans élite sans long discours, sans quatrième mur, sans troisième mur, sans murs du tout. A 12 ans, je rêvais de ça exactement lorsqu'on m'emmenait voir mon père s'endormir sur les banquettes du Théâtre National sous l'enseigne Martini qui tournoyait son alcool cuit au-dessus des toits de Bruxelles. Nous étions en 1976.

C'est ce théâtre-là qui m'a passionné. Un théâtre qui rimait avec le mot Fête, avec le mot Cirque, avec le regard du public complice et qui voyageait en roulottes ou en camions à chevaux pour s'installer sur les places. A 16 ans, je rêvais de ça exactement quand je courais voir les Baladins du Miroir, le Cirque du trottoir ou le Magic-Land Théâtre sur la place de la Monnaie de Bruxelles, entre les jets d'eau glacée et les colonnes blanches de l'Opéra Royal. Nous étions en 1982.

C'est ce théâtre-là que j'ai tenté de faire. Un théâtre sans décor où l'on blanchit sa face avec le miroir des vitrines, où l'on improvise un mot entre la poubelle et la fanfare qui passe, entre un supermarché et un réverbère éteint sans savoir exactement si c'est du cirque ou de la marionnette. On se définit Saltimbanque, mi trompettiste, mi-jongleur qui déclame Molière ou Cervantès. A 18 ans, je voulais ça exactement quand j'ai quitté mes parents pour aller faire la manche sur les digues d'Ostende avant même d'entrer à l'IAD (une grande école de théâtre) pour une courte année. Nous étions en 1984.

C'est ce théâtre-là encore que j'ai fondé avec Geneviève Cabodi et la Compagnie des chemins de terre. Un théâtre itinérant, voyageur, pour les villages sans théâtre, pour surprendre le badaud entre la boucherie et la banque ou sur la place un soir de fête foraine. A 22 ans, je rêvais d'élever mes enfants comme sur les gravures de Daumier, de Gustave Doré ou de Picasso. Une famille de saltimbanques s'est installée à Charneux. Nous étions en 1988.

C'est ce théâtre-là que j'ai voulu partager dans les rue de Herve. Un théâtre surprenant dont la seule définition reste le lieu où il se donne : le pavé de la ville. Est-ce du théâtre seulement? A 31 ans, derrière la porte de l'Hôtel de ville qui avait servi de loges, je m'apprêtais à jouer un Don Quichotte habillé de boîtes à conserves, une couscoussière sur la tête, accompagné par un Sancho Pança (Jean-Louis Lemal) bedonnant et bégayant "Le cochon, le saucisson, les oignons et le vautchon!" Nous étions en 1996 et nous nous apprêtions à jouer le tout premier spectacle du tout premier festival de rue de Herve. Cela s'appelait alors Bitume et l'idée revenait à Patrick Donnay. Guy Daron et Jean-Marie Ruwet furent très vite complices. Quelques spectateurs ont osé passer la porte, curieux de découvrir ce théâtre-là.

Et nous voilà ce soir, disait le grand Jacques. Je retrouve cet objet posé sur la table. Trente ans ont passé. C'est ce théâtre-là dont je rêve toujours, et le relais a été refilé à d'autre Herviens-Herviennes (Baptiste Dellicour ou Audrey, entre autres) dignes de la tâche. Merci, merci merci. Quant à moi, je le pratique toujours, oui, et je joue cet après-midi à 16h sur la place de l'église. J'ai 60 ans et croyez-moi, c'est ce théâtre-là qui me maintient en vie. 

(discours prononcé lors de la modeste cérémonie d'anniversaire des trente ans du festival.)














Les photos sont de Thierry Lavagnini. Merci.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est ce théâtre là moi spectateur depuis 30 ans qui me fait rêver, réfléchir, lutter pour un monde plus juste, plus gai.

Lucas Jacquemin a dit…

Merci Stéphane d'avoir contribué a créer ce beau festival qui m'a beaucoup nourri depuis petit. Et aussi pour ton retour après mon spectacle, ça m'aurait plu de discuter plus avec toi mais sache que tu as en effet semé certaines graines. Bonne continuation à toi, Lucas

Micheline Nielsen a dit…

Un texte aussi plein d'étoiles que ce " théâtre-là". Que ça fait du bien! Merci.