Jeudi de mars. Premiers mots prononcés à Nice. Il est 21h dans le café tassé "La cava Romagnana", un micro est dressé depuis 20 ans tous les mercredis. Ce soir, des cheveux blancs, des ventres ivres, des révoltés au vieu squelette, des pansus usés penseurs, des femmes aussi qui viennent dire un mot. Merci. Bravo. Les poètes ne sont donc pas une espèce en voie de disparition. Dans la ville de Ben Vauthier, où tous les arrêts du tramway sont flanqués de ses mots écrits de sa main de son lourd pinceau de sa verve mouillée, il me semblait bien avoir perçu ces grains échappés de sa poche. On entend ce soir des poèmes en hollandais, en serbe, en moldave, en français de Nice ou de Belgique. C'est quoi, la poésie ?
"Tous les poètes sont-ils barbus?" question de Paul, élève à l'école primaire Marcel Pagnol dans le village de Lagaude. Je n'ai pas de réponse, non, mais en croisant Mélanie Leblanc, je me dis que non. Le soir descend sur la montagne qui a plongé ses pieds dans la mer. Il y a de l'orage dans l'air. Bientôt les gouttes vont s'abattre, parfois violentes sur les vitres du théâtre, sur les pins maritimes et les cyprès accrochés de toutes leurs griffes aux parois rocheuses, sur les petites maisons serrées et couler dans les ruelles en escaliers. J'ai donné cet après-midi un atelier aux enfants d'ici, j'ai collé mes affiches au rez-de-chaussée puis j'ai interpelé la foule avec mon histoire de paquebot.
Samedi, bibliothèque de Cap d'ail et sa vue magnifique sur la grande bleue. Dimanche, balade poétique dans le village d'Aiglun et ses parois rocheuses. De haut, bien plus haut que nous jusqu'en bas, bien plus bas que nos pauvres pieds posés sur la pauvre pierre, c'est de la montagne. L'ubac qui restera à l'ombre. Je peux me tenir debout dans une ligne de soleil. Lever ma tête vers les pics du sommet. Ouvrir les bras vers l'est et l'ouest. D'un côté, une cascade au loin qui tombe de 140m et trace son fil bleu sur un fond de forêt. De l'autre, tout aussi écartés, les trois toits d'un village lointain. Devant, les oliviers qui attendent de se voir taillés, tordus face à l'immensité, débarassés déjà de leurs olives qui trempent dans la saumure de la chambre où j'ai dormi (merci Patrick, merci Houda) C'est un immense livre ouvert, un paysage de corps offert, une lune pour moi tout seul, une Amérique vierge où tout semble possible.
Je pense à Giono. Je pense à sa Provence que je touche du doigt. Je pense aux gens qui ont vécu ici quelques siècles avant l'automobile. Ils ont taillé des terrasses. Ils ont piégé quelques bêtes à fourrure. Ils ont élevé des ânes. Ils ont cueilli des olives et ne mangeaient presque rien. Je pense encore à Giono, ou plutôt à son Bobby. Je pense à ma joie. Que ma joie demeure, dis-je en le répétant. Ma joie d'exister, ma joie d'être poète, ma joie de lutter pour ce paysage-là et contre tout ce qui abîme, détruit, crochète, force, viole la beauté. Et merde. Une larme coule de ma paupière droite. Il est temps d'aller faire son poète.
Merci encore à Sabine Venaruzzo pour ce festival formidable ainsi qu'à l'équipe qui le met en place : Gabriel, Karina, tous les bénévoles... et j'en oublie. Je les embrasse.
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