mardi 7 décembre 2021

Je ne sors qu'habillé de cages - Prison de Paifve





 JE NE SORS QU' HABILLE DE CAGES.

Cette phrase est désormais inscrite sur un mur de la salle des visites de le prison de Paifve. Elle touche le plafond avec les pieds d'un cosmonaute sur une affiche immense que nous venons de placer avec l'échelle d'aluminium. Je recule de trois pas. L'échelle monte vers le ciel. Le texte est lisible. Les nuages par la fenêtre sont désespérants. Un cosmonaute s'y ennuierait. Mais parlons d'autre chose.

Mon amoureuse est là. Elle m'accompagne en cette opération délicate. J'ai une journée pour poétiser les murs d'une prison. Ou plutôt d'une aile psychiatrique. Ou encore de l'Etablissement de Protection Sociale de Paifve. Ici, on ne dit pas Prévenus, on dit Patients.

"La plupart sont arrivés avant moi, nous confie l'agent qui nous accompagne, et ils sortiront bien après moi. Sachant leur état psychiatrique et les délits qu'ont commis certains, il n'est pas question de les relâcher." Et pourtant... mais parlons d'autre chose.

"Je ne suis pas fou!" réclame l'un d'eux. "Et vous faites quoi, là?" De la poésie. Nous allons afficher de la poésie dans toutes les sections. Vous pouvez lire cette poésie (savent-ils lire? pas tous.) Je suis fou de poésie! (Sont-ils tous fous? Non, je suis Africain, donc je ne sais pas lire..." sous-entend celui-ci.) On a besoin de beauté et de poésie! (Mais qu'ont-ils commis comme délits? Vol à la tire, répond celui-ci, je me suis laissé entraîner, continue-t-il. Le gardien nous le décrit gros menteur. ) Qu'importe. Nous sommes là, avec ces mots, ces affiches, ces proverbes, ces poèmes : LE POIDS DE L'ENCRE FERA CROULER LES MURS prend déjà un tout autre sens ici, entre ces parois sans fenêtres. D'APRES GOOGLE, VOUS ETES ICI repris huit fois dans le couloir leur rappelle sans doute combien ils sont surveillés. Mais parlons d'autre chose...

Nous inscrivons "COMMENT FAIS-TU POUR ETRE AUSSI SOLIDE? derrière le babyfoot. Et personne ne répond. Le couloir est vide à cette heure-ci du week-end. Seul un gardien passe pour ouvrir le clapet de chaque porte métallique des cellules et jeter un œil. Toujours vivant? Un doigt sur l'interrupteur. Oui, ils dorment, assommés par les médicaments.

Alors nous continuons à coller. L'INCENDIE DES HORIZONS juste à côté de l'extincteur. (Quelqu'un rira-t-il? Un patient? Un maton? Un soignant?) FAIS-MOI RIRE MAIS FAIS-TOI RARE (Rien de plus parlant dans ce couloir de grilles et de portes métalliques inhabitées.) Et puis FRUCTIFIEZ, FRUCTIFIEZ, cette échelle de papier que nous posons près de l'escalier et qui appelle le ciel pluvieux. Une évasion serait facile si le poème était porteur.

Voilà la salle du tribunal. Que pourrions-nous y lire? Qu'allons-nous dire aux juges qui travaillent là? UN DISCOURS SUR L'IMPORTANCE DES GRIMACES ET DES BAISERS. Voilà.

Et ici, face à la cellule de Pierre, poète inconnu, que pourrions-nous placer? TU ES POETE, SIGNEUR D'ALARME, ETRANGE MELANGE D'ANGE ET D'ARME. Une évidence. Car nous offrons des armes, des mots et des encrages à ces naufragés de nos jugements. Nous leur soufflons "L'AMOUR EST UN BATON D'AVEUGLE FACE AUX MURS DES VISAGES" près des tables de jeu. Nous confirmons "SOLITUDE : ATTITUDE DU SOLEIL" derrière le babyfoot, nous collons des lettres anonymes à ces bougres sans fenêtres, sans soleil et sans oiseaux. Nous clamons des mots d'amour à ces solistes du poil, nous déclamons quelques vers à ces illettrés sensibles. Mais parlons d'autre chose.



Notre gardien prend le temps d'expliquer. Chaque cas est particulier : T est handicapé, il adore les voitures. Monsieur B est servant aujourd'hui. S laisse sa radio Hard Métal en permanence. I ne sait pas lire. Et tous, s'ils sont ici, ont commis un crime ou l'autre. Et puis il y a le virus. Le virus a désorganisé les visites. Le virus a désorganisé les repas. Le virus a empiré une situation grave. Mais parlons d'autre chose...Oui. Parlons d'autre chose.

Je ne sors qu'habillé de cages, vous dites? Il y a déjà deux perruches dans une grande cage à la section 3. Il y a désormais un Iroquois dans l'abribus. FACE A LA FOULE D'ENFANTS NEUFS dit-il. Oh, il n'y a pas de bus, non, mais une aubette au jardin pour s'abriter des gouttes. Et dorénavant, dans ce décor gris de béton ferrailleux aux trop rares fenêtres et au grillage haut, aux portails métalliques et aux herses de fonte, parmi les 200 affiches et mots placés sur dix couloirs, cinq salles et des portes vitrées, il y a une banderole. Celle-là est visible de tous : cuisiniers, matons, plantons, agents, patients, visiteurs et autres. Et celle-ci dit JE ME REJOUIS DE TE SAVOIR EN VIE.

La grille se referme derrière nous. Nous somme sortis. Demain, St Nicolas distribuera des jouets aux enfants sages. Oui, voilà, parlons des enfants sages. 





1 commentaire:

Unknown a dit…

Peut-être as-tu croisé un Antonin du 20 et unième siècle.
Dans le 30 sixième sous-sol de notre temps
Ou des Vincent...
assaninés